Justices → un spectacle, une famille

Dès le 30 septembre, Edouardo della Faille sera sur les planches du Théâtre National dans le spectacle Justices, mis en scène par Clément Papachristou. Une consécration pour ce danseur-comédien. Comment la mère d’un enfant différent perçoit-elle ce succès ? Quelle structure familiale pour l’accompagner ? Martine Anne de Molina veille, tout en découvrant les coulisses d’une production de cette envergure.
Quel est votre ressenti en tant que mère en voyant votre fils atteindre un tel succès artistique ?
Martine Anne de Molina : De la fierté. Comme c’est un enfant différent des autres, quand il est petit, on le considère comme porteur de handicap. C’est à partir du moment où il s’est mis à faire des choses que je ne suis pas capable de faire que mon regard sur lui a changé. Il y a eu un moment où cela s’est particulièrement marqué : lors de répétitions pour un spectacle de cirque mis en scène par Catherine Magis, il se déplaçait sur des échasses, perché à un mètre du sol. Là, je me suis dit : « Edouardo a une dimension et des capacités que nous n’avons pas. » Depuis, il nous amène sur des territoires que nous n’aurions jamais connus sans lui, comme il nous a plongés dans cette troupe de circassiens, sympathiques et bienveillants.
Avez-vous suivi le processus de création et de production de Justices ?
Un beau jour, on m’a appelé pour me dire qu’Edouardo allait jouer dans une pièce et j’ai appris qu’il s’agissait d’un spectacle au Théâtre National. J’ai demandé une réunion avec les parties prenantes pour comprendre ce que cela impliquait. Joëlle Shabanov, qui a l’expérience du travail avec Edouardo en tant que danseur de la Compagnie du Créahmbxl et l’a déjà amené en tournée, a demandé au Théâtre National qu'il soit accompagné au quotidien, ce qui a été mis en place pour les deux comédiens en situation de handicap.
La production n’en reste pas moins une aventure pour nous tous. Quand le metteur en scène, Clément Papachristou, a eu l’opportunité de présenter son projet de spectacle au festival d’Avignon, il a demandé à ce qu’Edouardo le rejoigne en train. C’était inenvisageable pour nous qu’Edouardo voyage seul. Nous avons cherché des solutions : en définitive, c’est son père qui l’a accompagné là-bas.
Chaque situation demande une réflexion dans une recherche constante d’équilibre entre bien-être et professionnalisation. En amont du spectacle, Edouardo était en colocation inclusive et revenait chez nous les week-ends. C’était la solution que nous avions trouvée pour lui accorder un maximum d’autonomie. Dès que les répétitions ont commencé, nous l'avons repris à la maison afin de pouvoir veiller sur son sommeil, sur sa ponctualité… C’est un sacrifice pour lui comme pour nous, car nous abandonnons tous une partie de notre liberté de mouvement.
« Chaque situation demande une réflexion dans une recherche constante d’équilibre entre bien-être et professionnalisation. »
Vous évoquez Joëlle Shabanov, la chorégraphe qui travaille avec Edouardo depuis son entrée au Créahmbxl : au fil du temps, quel dialogue s’est noué avec l’association ?
Précisément : nous avons toujours dialogué avec le Créahmbxl. Il n’y a jamais eu de problème. Et puis, il y a les rencontres : dès le début, c’était rassurant de voir des parents avec des enfants du même âge, de pouvoir parler avec eux et de voir ce qu’ils mettaient en place pour leurs enfants. Dès qu’il y avait une réunion ou un vernissage, nous étions contents à la perspective d’échanger.
Est-ce que l’association est simplement un lieu de pratique artistique ou bien représente-t-elle davantage pour les parents d’artistes ?
Elle représente davantage. Par exemple, Edouardo et Joëlle Shabanov sont proches. Joëlle m’appelle dès qu’elle constate que quelque chose ne va pas, même hors atelier. Elle a un dialogue différent avec lui et c’est précieux. De même, l’équipe avec laquelle il travaille sur Justices est très à l’écoute et d’une patience infinie. C’est très rassurant.
Comment gère-t-on en tant que parent l’image publique de son fils en situation de handicap ?
Je me suis posé la question quand Edouardo a eu son premier entretien avec Bruzz. Nous avions eu une mauvaise expérience il y a quelques années avec un journaliste très intrusif qui voulait pénétrer le milieu familial. J’ai demandé le respect de notre vie privée. Je souhaite que les frères d’Edouardo soient tenus à l’écart de ce type de sollicitations. C’est de lui qu’il s’agit. En préparant l’entretien, je lui ai suggéré de se remémorer sa vie d’artiste et il s’est rappelé bien des choses dont je ne me souvenais plus.
Où en êtes-vous, en tant que parent, dans cette vie avec Edouardo artiste ?
Nous vivons au jour le jour. Je me pose aujourd’hui à nouveau la question de la colocation inclusive. Nous nous posons la question de l’avenir. On ne peut pas croire qu’on est sur les rails. Tout peut encore changer. Il faut être prêt à tout. Nous ne l’avons jamais mis en centre de jour ni en entreprise de travail adapté parce qu’après essai, il n’y était pas heureux. C’est à nous, en tant que parent, de lui proposer chaque année de nouvelles activités. Il faut de l’imagination. Il faut trouver de nouvelles pistes.
Pour compléter cette lecture :
Justices, le spectacle, présentation et carnet de création (Théâtre National),
BRUZZ, Portrait d'Edouardo della Faille à lire pp. 18 & 19.