Manneken-Pis

Comment sensibiliser le (très) grand public aux créations des artistes en situation de handicap ? Du 15 juin au 15 septembre, trois sculptrices et dessinateur du Créahmbxl seront exposés dans la vitrine d’un micro-hôtel voisin de la Grand Place. Chacun·e a détourné à sa manière une statuette du symbole de Bruxelles, Manneken-Pis.
C’est une collaboration qui débute par un coup de fil. Julien de Dobbeleer visibilise des artistes de la scène bruxelloise (street art, mode…) en leur proposant de détourner une statuette du Manneken-Pis. Grâce à la complicité des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, qui possèdent le moule du célèbre bronze, une dizaine de copies originales en plâtre sont produites pour lui chaque année. Le Créahmbxl serait-il intéressé à participer au projet ?
Les œuvres produites sont exposées à deux pas de la Grand’ Place. L’association saisit cette occasion de sensibiliser le (très) grand public à l’art brut. Les deux animatrices des ateliers Arts plastique et Sculpture, Gaëlle Leroy et Brigitte Arbelot se concertent. Le défi consiste à créer une œuvre qui soit cohérente avec l’univers plastique des artistes sélectionnés et reflète leur imaginaire. Pas question d’une customisation anecdotique.
Terre et porcelaine
« Nous avons réfléchi et opté pour la 3D, » dit Gaëlle Leroy. « Nous avons rejeté l’idée de peindre la statuette et choisi de l’augmenter par le relief. D’où le choix de deux sculptrices, Nouzzah Serroukh et Géraldine Vink. Le troisième artiste que nous avons retenu est le dessinateur Michaël Mvukani Mpiolani. C'est intéressant de confronter son univers robotique aux courbes du Manneken. »
Les sculptures de Nouzzah Serroukh figurent des animaux ou des couples ultra-humains étranges dont la destinée commune est d’être couverts de poils,hérissées ou soyeux. Il n’y avait pas de raison que le Manneken Pis échappe à la règle, même si, dans une dérive fantaisiste, la toison pourrait se transformer en queue de dragon. « Le travail de Nouzzha est trèsfin, » souligne Brigitte Arbelot responsable de l’atelier Sculpture. « Nous avons choisi pour elle la porcelaine, une terre qui a de la mémoire : tous les gestes de Nouzzah vont ressortir à la cuisson. Les « piquots » qu’elle façonne pour représenter une toison vont ressortir irréguliers, sans que nous sachions à l’avance quel sera le résultat final. »
La production de ces formes en 3D a demandé de nombreux tests. « La terre se rétracte quand on la cuit, » précise Brigitte Arbelot, « et nous avons besoin de deux cuissons avant l’émaillage. Il faut donc penser les formes en plus grand pour qu’elles correspondent à la taille de la statuette après cuisson. Géraldine a travaillé directement sur le modèle de manière très épaisse afin qu’on puisse éventuellement creuser la matière si cela se révélait nécessaire. »
Balles bondissantes
Un casse-tête qui a amené une relation plus profonde entre les deux artistes. « Géraldine a amené des propositions qui déviaient du projet initial, mais complétaient mes indications. C’était un système de balles bondissantes qui nous amenait ailleurs, en mieux. On a gardé son vocabulaire formel, la mâchoire, les dents, qui prennent soudain une autre signification. Au travers de ce travail, elle qui semblait toujours ailleurs, s’est mise à me répondre directement, une évolution dans notre relation qui m’a beaucoup émue. »
Une tension animait ces heures de collaboration côte à côte afin de créer une œuvre qui attire les regards : le délai imparti. Les trois Manneken Pis seront installés dans leur vitrine de la rue Chair et Pain le 15 juin et y resteront jusqu’au 15 septembre.
Un Manneken couronné
Un temps limité qui a amené Gaëlle Leroy à s’impliquer dans le processus. « Pour Michaël Mvukani Mpiolani, très sollicité, je suis davantage intervenue dans la conception et la réalisation : on peut dire que la sculpture est une cocréation. Un amas de robots issus de l’univers de Michaël figure cette foule qui va et vient autour de la statue réelle. Ici, ils y grimpent et redescendent du Manneken Pis, transformé en géant. De près, on peut apprécier les détails comiques de leurs attitudes. De loin, cette foule se transforme en couronne de traits lumineux, comme on en voit dans les représentations de Madone de Pierre et Gilles ou sur certaines icônes. Cette double vision m’importait beaucoup, l’humour et le tourisme en grappe, d’un côté, et le côté iconique de cette image, presque révérée, de l’autre. »
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15.06 > 15.09