Une résidence au Bénin 2/3

1.1.2023
16.2.2023
Une résidence au Bénin 2/3

 Du 1er au 16 janvier, le Créahmbxl était en résidence à Porto-Novo, Bénin, auprès de l’association Vie et Solidarité (V&S). L’équipe des ateliers Arts plastique et Danse, accompagnée d’une partie du personnel encadrant, a organisé le travail de création avec les artistes du centre béninois. Une expérience forte, exigeant souplesse et patience.

Le potier invisible
Une résidence au Bénin pour les 40 ans du Créahmbxl, c’est un projet, à la fois de création et d'échange d'expertise avec les animateurs hôtes de la structure africaine. Les défis ont été posés au départ : sur la durée du séjour, l'accrochage d'une exposition mixte des binômes artistes belges et béninois et ensuite, la création d'une exposition des œuvres réalisées sur place à la clôture du projet. L'atelier Danse réalisera une performance d’une demi-heure à présenter en fin de séjour . Tout cela entrecoupé d’un colloque où l'on interagira avec les pairs africains : CinqCinq, l’animateur Arts plastiques et Mon Type, celui de l’atelier Musique/Danse. « Nous avons eu de longues discussions à propos de l’histoire du travail avec l’art différencié, » dit Rémi Tamburini, artiste-animateur des ateliers Arts plastiques. « Il y a cette question qui revient sans cesse sur l’idée de collectivité : est-ce que les artistes s’influencent en atelier ? Et nous, les animateurs et animatrices, est-ce que nous les influençons et si oui, comment ? »

Des objectifs clairs, un calendrier établi. Cependant, avec toute la joie de s’y trouver : l’Afrique. Ses soubresauts, sa temporalité propre, les contraintes qui pèsent sur la vie au quotidien de chacun et chacune. « Nous savions qu’il y aurait des imprévus, » précise Rémi, « mais pas autant. » Souplesse, le mot clef qui revient dans toutes les bouches.

« Le potier qui devait travailler avec Julien Detiège n’est jamais venu. C’était le potier invisible. Alors, quelles étaient nos alternatives ? Quelle terre travailler ? Il y a eu la proposition d’un mélange de bouse de vache, de coquillages et de colle. Mais ça ne tenait pas. En fouillant la réserve, on a trouvé des blocs de terre à concasser. Julien a travaillé avec Cécile, une participante béninoise qui maîtrisait cette technique : ils ont brisé ces blocs au marteau, puis l’ont tamisée et mélangée à de la terre trouvée sur place jusqu’à ce que cela devienne de l’argile fraiche. »

Gaëlle Leroy, scénographe-animatrice des ateliers Arts plastiques, souligne, elle aussi, cette nécessité « de pouvoir s’adapter à un autre rythme. » Si elle garde un souvenir prégnant des sons, le séjour lui a, avant tout, « appris à relativiser et apporté plus de patience, car là-bas l’imprévu forme la trame du quotidien. »

Danser, se révéler, s’éprouver dans les regards
Un voyage. Pour les participants et les participantes invités, c’était parfois le premier départ. Qualifiés de« personnes en situation de handicap mental », qu’allaient-ils vivre en tant qu’humain·es et en tant qu’artistes ? « Rien n’a effrayé nos participants, » affirme Rémi.

« Les participants ont pris soin les uns des autres. » Marion De Spiegelaere, éducatrice, a vécu ce séjour d’échanges principalement tournés vers les artistes et ses collègues avec la mission qu’elle s’était donnée : veiller au bien-être de tous. C’était « une place étrange » confie-t-elle. Entre le « bruit constant, les couleurs partout, la chaleur, la foule, la nuit peuplée de klaxons et d’appels à la prière, nous étions plongés dans un univers saturé. Il a fallu un temps d’adaptation. » Ensuite, elle s’est attachée aux tâches du quotidien, organiser les menus en tenant compte des préférences alimentaires, changer l’argent ou simplement couper les fruits. « Nous avons renforcé les liens, tissé des complicités. Tout le monde était très agréable, il y a eu une facilité du vivre ensemble. »

Cette fluidité des échanges s’est doublée « de l’amour et de l’intérêt pour les participants de là-bas, nous avons vécu des moments privilégiés ensemble », ajoute Gaëlle. « Il y a eu une super connexion entre les deux équipes », ajoute Rémi. « Nous mangions chaque jour ensemble ce qui permettait les échanges. » Une ouverture à l’autre qui épanouit. « Julien a commencé à jouer au football, à parler avec les gens sur les marchés. Inès, muette en atelier, parlait. Même Michaël, si réservé, dansait le soir au bord de la piscine. » Une révélation, un corps, un langage.

Cette complicité, les repas, la soirée de danse dans la mangrove, autant d’instants précieux. Car au dehors, les regards sur le handicap pouvaient être hostiles. « Il y a cette histoire d’envoûtement, » dit Rémi, « les gamins sont mis à la rue et le Centre les récupère. » Une sensation partagée par Gaëlle, dont une ombre traverse le regard à ce souvenir. « On a été dans un marché de contrefaçon, les regards sur les participants étaient très durs. »

La poussière se lève, fantôme de Lilian Thuram
L’atelier Arts plastiques a rassemblé toutes les tables sous le préau. Gaëlle et Cinq Cinq tentent différentes techniques. Sortir les participants de leur zone de confort peut produire de bons résultats, partagent-ils. Rémi rêve de sculpture sur pneu ou avec le plastique des seaux. C’est dit, il n’aura pas assez de temps pour tout tenter. Il faut remplacer des œuvres dans l’exposition accrochée le lendemain de l’arrivée, elles ont été achetées par Lilian Thuram, venu - mais pas vu - au Centre. Était-il bien là ? Son fantôme, à tout le moins, a acquis des œuvres du Créahmbxl. Salut à toi, Lilian, si tu nous lis un jour.

Pendant ce temps, comme on dit dans les contes, sous une bâche de fortune, Joëlle Shabanov, chorégraphe et animatrice de l’atelier Danse, lance et accompagne des improvisations. Par bonheur, elle « adore danser pieds nus, soulever de la poussière, transpirer sous la chaleur, sentir cette odeur caractéristique de feux ». Car, durant ces deux semaines, elle va travailler sous 35° et partager l’ombre avec des gens qui passent en permanence et viennent converser sous l’abri provisoire qui abrite les musiciens de la performance en devenir.

Pour corser un peu la difficulté, « je n’avais jamais travaillé avec des percussions. J’ai dû m’imprégner de ces battements. Mais les danseurs du centre étaient excellents. J’ai vu Xavier, le danseur qui nous accompagnait, s’ouvrir en travaillant le rythme. »

Après trois jours à lancer des « discussions » de danse où les uns et les autres se répondent, à tenter des cadavres exquis où les mouvements se transmettent de danseur en danseur, un fil est trouvé. Et les idées viennent, « fluides, sur un mode très intuitif ». Cette proximité avec la terre, qui donne de l’énergie. Cette présence à l’autre, constante. Joëlle conserve avant tout « le souvenir de cette intensité ».

« Nous avons été ensemble, ailleurs, » sourit Gaëlle. Marion acquiesce : « Les participants ont parlé ouvertement de tout, cela a créé un lien familial. » Rémi, qui aime à jouer le grain de sel, retient en impression dominante « le porc au miel. » Après un éclat de rire : « la visite du premier temple vaudou, les réunions tous les deux jours, l’émotion de Léonce, le guide sur la rivière Noire qui a dit que c’était la première fois qu’il pouvait voir et échanger avec des personnes handicapées. » Et, bien sûr, personnage indispensable à tout récit de voyage, l’homme du rendez-vous manqué qui déclenche l’ingéniosité et amène sur un chemin de traverse, le potier invisible.

Lire ce qui précède > Une résidence au Bénin 1/3 et ce qui suit > Une résidence au Bénin 3/3

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